7 novembre 2012

DOGGYBAGS 3, Violencía y terror en Juarez

Room 213, de Run et Neyef
La danza de los 13 velos, de Maudoux
Día de muertos, de Giugiaro et Gasparutto
éditions Ankama, label 619 - octobre 2012

Imaginez que Quentin Tarentino et Roberto Rodriguez se mettent à la BD. Que Guillermo Ariaga ou Boston Teran passent du roman noir au comic noir. Ou encore que Rafael Ramírez Heredia revienne d’entre les morts pour coucher sur le papier ses aventures passées du côté obscur de la vie. On s'en doute, la lecture de cette bd est réservée à un public adulte.

Ce troisième volet de Doggybags, édité par Ankama label 619 est un condensé de violence, sang, tripes, viols, machettes et balles de gun et dont les actions, il y a trois histoires, se passent à Ciudad Juarez. Rien d'étonnant au choix de cette ville eu égard au style graphique et aux scénarii qu’on a dans les mains. Les dessins réalistes sont de style comics américain (Usa), les visages  masculins ont des traits anguleux, les filles sont aguichantes et dégagent un érotisme de teiboleras, tuberas et autres playmate, les phylactères résonnent des engins motorisés customisés aux chromes rutilants et aux vrombissements agressifs, des détonations et rafales d'armes de tous calibres et de tous tranchants. Dany Trejo en agent Machete se sentirait dans son élément, au milieu de ces flots de fureur sanguine et de susceptibilités qui ne se règlent pas à l’amiable. Trois récits, Room 213 (Run & Neyef) – La danza de los 13 velos (Maudoux) – Día de muertos (Giugiaro & Gasparutto), qui mettent en scène la Santa Muerte, les désormais incontournables narcos et des flics vengeurs essayant de ne pas devenir fous trop rapidement dans cette villes de psychopathes.


Les dessins sont très largement inspirés de l’imagerie mexicaine du día de muertos, calaveras, squelettes, beaucoup de cranes, de roses et cempazúchitl , de motifs azteco-mayas, une ambiance macabre illuminée de couleurs vives et brillantes. Cet aspect « fête des morts » est très bien rendu par les différents dessinateurs, Jérémie Gasparutto, Florent Maudoux et Neyef. Quant aux scénarios, ils sont à la hauteur des ambitions des auteurs. Ca déménage. On est bien loin de « Tintin et les Picaros » ou « Tortillas pour les Daltons ». Le livre est enrichi de petits dossiers sur la criminalité au Mexique, sur les narcos, leurs méthodes, les narcocorridos, les disparues de Ciudad Juarez, les décapitations, les mata-zetas, histoire de rappeler aux lecteurs qu'au Mexique, la vie n'est pas un long fleuve tranquille. Au contraire, la vida no vale nada. On découvre même en fin de volume quelques pages consacrées à l'affaire Florence Cassez. Sont aussi parsemés au fil des pages des encarts journalistiques relatant les activités du crime organisé, faits réels ou détournés comme par exemple la fausse une d'El Nuevo Alarma, numéroté 666 et paru un 5 de mayo (!). El Nuevo Alarma est une feuille de choux qui se complait dans la publication de faits divers d'une violence extrême, en rajoutant du sensationnel morbide et en ne lésinant pas sur le choc des photos pour illustrer le poids des maux.


La lecture est plaisante et parfois drôle, à condition de savoir se hisser au second voire au troisième degré. A l’instar des films de tarentinesques, l’exercice est de faire de la série B. Ce n'est donc pas de bon goût, mais les auteurs ont choisi d'être décalés et anticonformistes. C’est indéniablement réussi, et avec brio. L’ensemble, décoré à grand renfort d’imagerie naco, de Jesus Malverde, de slogans du style « violencía y terror en Ciudad Juarez », « 112 pages tout en couleurs en sans aucune concession », « violence 100% graphique » ou « pour lecteur averti » donne l’impression que l’on tient un objet un peu sulfureux, une bible dédiée à une divinité peu recommandable de Mictlan ou de la Niña Blanca elle même. D'ailleurs, l'ouvrage débute sur une oracíon à la Santa Muerte qui fera passer un petit frisson sur les épaules frèles des lecteurs prepubères, non-avertis ou des touristes en partance pour les tranquilles plages yucatèques où tout n'est qu'ordre et beauté, luxe calme et volupté. Ciudad Juarez est un lieu de villégiature un peu plus caliente. Dont on peu essayer d'en rire, puisque pleurer n'y change rien.

Ph.H.

5 novembre 2012

Quiela

Pièce de théâtre
de Guillermo León Tequio Mexico, teatro de la Capilla, théâtre de l'Elysée (Lyon)
à partir de "Cher Diego, Quiela t'embrasse" d'Elena Poniatowska


Diego Rivera, le célèbre muraliste mexicain, s’est marié trois fois. Si on connait particulièrement bien sa dernière femme, la peintre Frida Khalo, on entend déjà moins parler de sa seconde épouse Guadalupe Marin. Quant à la première, Angelica Beloff, elle est quasiment inconnue. A partir des lettres d’Angelina à Diego, alors qu’elle est à Paris et lui au Mexique, l’écrivain Elena Poniatowska va écrire « Cher Diego, Quiela t’embrasse », Querido Diego, te abraza Quiela. Ces lettres écrites dans les années 1920 relatent la vie d’Angelina à Paris, saisie par le « froid qui vient d’Alsace et de Verdun », la pneumonie de son fils puis la mort de celui-ci, et enfin sa solitude.
Le texte d’Elena Poniatowska a été adapté pour le théâtre à travers la pièce « Quiela », monologue joué en France par Odille Lauría. L’œuvre est très prenante, reflet tragique de la triste vie d’Angelina lors de son séjour parisien. Alors qu’elle est russe, elle trouve le froid de Paris plus terrible que celui de Saint Petersbourg, sa ville natale. Un froid qui lui enlève son fils sans que Diego ne s’en soucie. Lui est tout à sa peinture, à la recherche de la lumière des impressionnistes, à d’autres conquêtes féminines aussi. Indulgente devant le génie du maître, Angelina, elle même peintre sous le nom de Quiela, devient féroce et haineuse lorsque le peintre, cet hijo de puta, ne manifeste aucune émotion à la mort de son propre fils. Au contraire, il semble même soulagé d’un poids. Être seule en scène avec un texte de plus d'un heure est déjà une performance. Jouer avec passion toute une gamme de sentiments, joie, colère, espoir, déprime, en est une autre. Avec un décor et une mise en scène minimalistes et ce jeu très juste d’Odille Lauría, on ressent tout ce qu’Angelina a pu supporter à Paris, mais aussi 10 ans plus tard. En effet, grâce aux méandres du destin et à de généreux amis, Angelina pourra se rendra à Mexico. Invitée à une cérémonie ou sont présents de nombreux artistes, elle y retrouve Diego Rivera. Leurs regards se croisent. Il ne lui adressera pas la parole. L’a-t-il même reconnue ?*. Entre ses aventures extraconjugales du temps de Guadalupe puis de Frida, et sa conduite terriblement méprisante avec Angelina, l’image de Diego Rivera est un peu plus écornée. Un peintre brillant, certes, mais aussi un sacré sale type.
Ph.H.

* : Marié à ce moment à Guadalupe Marin, dont la jalousie (ô combien justifiée) était légendaire, on peut, à la décharge de Rivera, envisager qu’il ait choisi d’ignorer Angelina pour éviter une scène. Ça reste une pure hypothèse.




Quiela
Autor : Guillermo León, a partir de la novela "Querido Diego, Te Abraza Quiela"
de Elena Poniatowska.
Dirección escénica: Guillermo León
Elenco: Odille Lauría
« Quiela » es un monólogo que tiene como protagonista a Angelina Beloff, la primera esposa del célebre pintor mexicano Diego Rivera, con quien se encuentra en el París de principios del siglo XX. Es el París de Picasso, Gris, Modigliani; ambos están allí buscando encontrar SU pintura y compartiendo el hambre, la miseria, la enfermedad, el frío, la guerra… y las múltiples andanzas de Diego. Al morir el único hijo de la pareja, Diego no lo soporta y regresa a su tierra. Angelina, Quiela, se queda en París, esperando a que su marido le envíe el dinero necesario para que ella pueda alcanzarlo en México. Pero Diego no lo hará. Diego no volverá nunca.
(Teatro de la Capilla, Coyoacan, Mexico DF)


 

Résumé Actes Sud :
En soixante pages d’une pudeur et d’une discrétion exemplaires, Elena Poniatowska évoque ici la dévastation provoquée dans la vie d’Angelina Beloff par le départ de son amant, le peintre mexicain Diego Rivera. Dans ce récit épistolaire à une voix, c’est l’autre voix, celle de l’absent, qui par son silence donne à la solitude d’Angelina les dimensions du tragique. Le roman d’Elena Poniatowska est, depuis sa publication en 1978, l’un des livres les plus lus au Mexique. A découvrir comme il fut écrit : passionnément !