19 février 2017

Dans les griffes de Salm-Salm


Sauvage tome 2
Scénario : Yann - Dessin : Félix Meynet
Éditions Casterman, 01/2017


En 1864, le Mexique est en partie occupé par un corps expéditionnaire français. Engagé au sein de l’armée impériale du Mexique, le sous-lieutenant Félix Sauvage poursuit sa quête de vengeance contre le marquis de Trazegnies, lui-même commandant de cavalerie au sein de l’armée impériale du Mexique et responsable du sort de ses parents. Mais sur sa route se dressent d’autres intrigues qui le dépassent et auxquelles il se trouve mêlé. Après la mort de leur frère Honoré engagé dans le corps expéditionnaire, sa sœur Clémentine Sauvage, femme d’honneur et de caractère, décide de s’engager sur le champ comme cantinière au Mexique. Il lui revient à elle, avant Félix, de venger leurs parents. Mais un an plus tard, c’est Félix qui se retrouve dans l’armée française au Mexique, tenant sa sœur pour morte, avec le devoir d’honorer la vengeance. Il y découvre les méthodes atroces du colonel Dupin, chef du l’escadron de contre-guérilla, qui fait exécuter ses prisonniers en faisant galoper des chevaux sur leurs têtes dépassant de terre. Il reçoit comme une échappatoire à cette barbarie la mission d’aller porter son bâton de maréchal au commandant Bazaine. Au cours de cette mission, Félix se rend compte qu’il était poursuivi par Agnès de Salm-Salm, qui nourrit de son côté un tout autre dessein, l’évasion de son mari, prisonnier des mexicains.
Le premier titre retenu pour ce tome 2 était « Le spectre de Chapultepec ». Voir la fiche du tome 1.

© Casterman - Dupin, en uniforme mexicano-hongrois et ses méthodes expéditives

Sauf sur le plan militaire et la célèbre bataille de Camerone, l’intervention française au Mexique (1861-1867), se solda par un fiasco que les livres d’histoire évoquent peu. Le scénario de Yann, sur trame de fond de vengeance familiale, mêle avec succès aventure, exotisme, western et romance. Avec Félix Meynet au dessin, la griffe artistique est maîtrisée et aboutie, avec une très haute exigence concernant les uniformes, vêtements et les décors. L’ambiance graphique qui en résulte est une indéniable réussite.
© Casterman - Les uniformes très fidèlement dessinés par Meynet
L’album évoque aussi le Colonel Charles Dupin, personnage historique pittoresque qui, à la tête de sa troupe de contre-guérilla, laissa un mauvais souvenir au Mexique. Après la prise d’Oaxaca, les militaires furent envoyés combattre au nord du Mexique, là où la guérilla était la plus virulente. Le corps expéditionnaire n’était pas habitué à lutter de cette manière : lorsque les rebelles étaient en position de force, ils attaquaient, dans le cas contraire, ils fuyaient. En outre, ils avaient des chevaux, ce qui n’était pas le cas des Français. Afin de lutter contre cette stratégie, se mit en place la contre-guérilla du colonel Dupin : une troupe d’hommes du pays, connaissant le terrain sur lequel ils s’aventuraient, équipés de chevaux, agissaient en marge de l’armée française. Les exactions de Dupin sont restées dans la mémoire collective mexicaine dans les régions où il a sévi (états de Veracruz, Puebla, Oaxaca). Il arrive encore aujourd’hui que les enfants turbulents soient menacés de la venue d’el Dupin (prononcer doupine), comme on le ferait en France avec le croquemitaine.

Le colonel Dupin au Mexique

Son portrait est dressé dans plusieurs ouvrages (extraits) :

- Charles est un officier français, baroudeur-buveur-joueur-pilleur-violeur, qui participe aux expéditions impérialistes. Depuis peu, Dupin commande une unité de contre-guérilla chargée de tenir à distance les Mexicains libéraux et les bandes de brigands qui sévissent dans les basses terres. Disposant d’une troupe bigarrée d’environ 150 cavaliers, parmi lesquels des Indiens prêts à se livrer à des exactions moins pour combattre les libéraux du président Benito Juárez que pour terroriser les populations et faire le vide autour de lui, l’intellectuel baroudeur Dupin – surnommé la « hyène de Tamaulipas » par les Mexicains – pense parvenir à rétablir la sécurité en recourant à une technique d’engagement inédite qui fait une large place aux méthodes expéditives de l’adversaire, parmi lesquels brigandage et cruauté le plus souvent gratuite figurent en bonne place. De plus, les légionnaires ont subi des conditions de détention sévères : les exactions du colonel Dupin ne pouvaient qu’exaspérer la population civile et les soldats réguliers et irréguliers de l’Etat de Veracruz qui ainsi vengeaient leurs morts.
(Camerone - 30 avril 1863, André-Paul Comor, Tallendier, 2012)


- Le Mexique ne pouvait que tenter un pareil caractère, et il s’engagea d’abord dans les troupes mexicaines. Mais Forey, puis Bazaine, séduits par sa personnalité et son efficacité, lui confièrent l’organisation de la contre-guérilla dans les Terres chaudes où sa science du terrain, sa technique de l’engagement et son peu de respect pour les règles classiques de la guerre firent merveille. Au grand dam des généraux, il ne dépendait que du commandant en chef qui lui avait donné carte blanche. Sa bande de soldats-brigands qui lui étaient tout dévoués et lui-même avec sa grande barbe, son uniforme mexicano-hongrois éclatant et bizarre et son pistolet dans la ceinture, furent bientôt connus de toute l’armée, et ses colonnes infernales, redoutées des libéraux. Sur les territoires qu’il contrôlait, il signait les décrets « gouverneur Charles Du Pin ». Ses méthodes étaient expéditives. Il multipliait les coups de main, exécutait les prisonniers, brûlait les villages soupçonnés de connivence avec les juaristes, éliminait les civils suspects. Il ne faisait pas de quartier et les actes de cruauté ne le rebutaient pas. Sa tête fut mise à prix pour 100 000 francs, en vain. Dans le même temps – car l’homme était complexe – il écrivait de tendres lettres à sa nièce qui aurait voulu l’épouser si seulement ses parents y avaient consenti, et il dira lui-même : « J’ai fait une guerre atroce ». Remis en activité hors cadre, il avait été fait commandant de la Légion d’honneur et cité à l’ordre du corps expéditionnaire. Mis en cause par l’empereur Maximilien, et par ses pairs à la fois jaloux de ses résultats et réprobateurs des moyens employés, le « monstre » des Terres chaudes, le « diable rouge » fut renvoyé en France en avril 1865 et remplacé par le capitaine Ney d’Elchingen. Une enquête sur ses agissements aboutit à le laver d’accusations de détournements de fonds et il revint au Mexique en janvier 1866. Cette fois, Bazaine refusa d’obéir à Maximilien furieux de son retour et déclara à l’intéressé : « Je serais trop heureux d’avoir beaucoup d’officiers de votre trempe. » Mais l’affaire Du Pin, qui fit grand bruit, illustra pour tous des deux côtés de l’Atlantique, les conditions pénibles et les moyens discutables de l’intervention, et Du Pin finit par être remplacé.

(Dictionnaire du Second Empire, Dupin Charles-Louis, Fayard, 1995)


Pour en savoir plus :
L'expédition du Mexique sur Histoire du monde
Dupin le chacal sur le blog de Claire Grube
Médaille de la campagne du Mexique
PhH

4 février 2017

Gabacho

Aura Xilonen
Titre original Campeón gabacho
Traduit de l’espagnol (Mexique) par Julia Chardavoine
Collection Littérature étrangère
368 pages, 22 euros
Éditions Liana Levi, 19 janvier 2017

Liborio n’a rien à perdre et peur de rien. Enfant des rues, il a fui son Mexique natal et traversé la frontière au péril de sa vie à la poursuite du rêve américain. Narrateur de sa propre histoire, il raconte ses galères de jeune clandestin qui croise sur sa route des gens parfois bienveillants et d’autres qui veulent sa peau. Dans la ville du sud des États-Unis où il s’est réfugié, il trouve un petit boulot dans une librairie hispanique, lit tout ce qui lui tombe sous la main, fantasme, rencontre l’amour, et finit par devenir champion de boxe. Son récit, mené tambour battant, est tissé de souvenirs qui dessinent un parcours chaotique aussi douloureux qu’hilarant. Roman picaresque moderne, Gabacho raconte l’histoire d’un garçon à la recherche de son identité. D’un quasi illettré qui dévore le dictionnaire et des livres savants. D’un jeune Mexicain qui découvre un monde qui ne colle pas avec sa culture natale et qui tente de se l’approprier, à coups de poing et de mots. Mêlant images poétiques, argot ancien et actuel, ingleñol et néologismes, ce roman à l’écriture ébouriffante propose une expérimentation drôle et inventive du langage.

A l’heure ou on parle de plus en plus d’un mur entre les Usa et le Mexique, ce livre prend une dimension nouvelle.


Gabacho est un terme dérivé de l’occitan qui, à l’origine, désignait les Français pour les Espagnols. Mais au Mexique, il est très vite devenu synonyme de « gringo », c’est-à-dire toute personne américaine ou venue du Nord et parlant mal l’espagnol. Par extension, le « Gabacho » est aussi pour les Mexicains une façon de nommer le territoire américain. Liborio, le protagoniste du roman, tente de se convertir en gabacho en migrant de l’autre côté de la frontière.



La chronique de PhH
Liborio est un jeune indien mexicain qui est né et a grandi dans la douleur. Il n’a pas connu sa mère et est élevé à la dure pas une tante. Il choisi de quitter son pays pour aller de l’autre côté du Rio Bravo. Passage difficile ou il risque sa vie, avant d’être à la merci de la migra. Finalement, il arrive à décrocher un emploi dans une librairie dans une ville du sud des États-Unis. Son quotidien est fait de violences, physiques avec les racailles du quartier, verbales face à la rudesse de son employeur. Jusqu’au jour, ou en défendant une jolie fille de son quartier, il est repéré par plusieurs personnes, une journaliste, un entraineur de boxe, une âme charitable qui gère un foyer pour les jeunes en rupture et surtout par celle dont il est amoureux. C’est l’éclosion d’un papillon. Liborio découvre un autre monde dans lequel il ne subit plus mais ou il choisit. Il se met à dévorer des livres alors qu’il sait à peine lire, il devient le héros du foyer, de celle qu’il sauve des voyous, de la journaliste impressionnée par le nombre de vues qu’il suscite sur Youtube, il inspire le respect aux autres boxeurs par la phénoménale puissance de ses poings, et même son patron le regarde d’un autre œil.

Le style d’Aura Xilonen est d’une grande originalité, tout en coups secs, vifs et tranchants comme ceux que distribue Liborio. En même temps, il est empli d’une poésie brutale comme celle qu’à pu exprimer François Villon, poète fasciné par les bas-fonds. Les personnages sont truculents, tel ce libraire qui, derrière un langage de charretier semble cacher une certaine compassion pour le gamin qu’il emploie et exploite. On pense à une version terrestre, moderne et urbaine du Capitaine Haddock qui aurait mis à jour son chapelet de jurons chez les électeurs de Donald Trump. A chaque page, une métaphore lie l’environnement du quotidien à une image inattendue pour former un attelage réjouissant. Alors que le roman se passe chez les oubliés du rêve américain, émigrés latinos, petits-blancs déclassés, gosses des rues, exclus des prestations sociales, l’auteur réussi l’écriture d’un hymne à la vie, à l’espoir, à la solidarité, ce qui rend un futur meilleur envisageable. Les sentiments amoureux naissants que Liborio découvre et dont il goute les prémices arrondissent les angles aigus contre lesquels la vie le cogne, et les émotions qui le transpercent le maintiennent constamment en alerte. L’exploit d’Aura Xilonen est dans l'utilisation soutenue d’un langage argotique voire grossier, sans jamais tomber dans la lourdeur ou la vulgarité, ou les passages crus sont immédiatement adoucis par les constructions allégoriques savoureuses. La fréquence des figures de style, zeugmas, oxymores ou hyperboles, apporte une constante note d’humour alors que les situations vécues par Liborio sont la plupart du temps tragiques. La présence de termes issus de l’espagnol du Mexique et du nahuatl complète une écriture déjà riche. Il faut saluer le travail phénoménal de Julie Chardavoine qui a traduit le texte, restituant un écho aussi limpide que fidèle au talent de l’auteur.

Le lozérien que je suis a d’abord eu le regard attiré par le titre. Gabache est le terme vaguement péjoratif utilisé par les gens des plaines du sud de la France pour désigner les montagnards du Massif-Central. Certains relient aussi gabache à gabale, peuple celte de la province du Gévaudan, qui deviendra par la suite le département de la Lozère, où il resterait d’ailleurs quelques indiens, frères de race de Liborio.

Derrière ce titre se cache un ouvrage décoiffant, rafraichissant et qui pique les yeux, comme le premier vent du nord de l’automne quand il secoue les chênes de la Margeride.


L’auteur
Aura Xilonen est née au Mexique en 1995. Après une enfance marquée par la mort de son père et des mois d’exil forcé en Allemagne, elle passe beaucoup de temps chez ses grands-parents, s’imprégnant de leur langage imagé et de leurs expressions désuètes. Elle a seulement dix-neuf ans lorsqu’elle reçoit le prestigieux prix Mauricio Achar pour son premier roman, Gabacho. Aura Xilonen étudie actuellement le cinéma à la Benemérita Universidad Autónoma de Puebla.

Source : Editions Liana Levi
En savoir plus sur le livre et l’auteur.


Les chroniques se suivent et se ressemblent, étonnant !

Une plume pour les migrants dans La Croix (janvier 2017)
Une écriture brillante pour Le Figaro (janvier 201)
La revanche du  " wetback " sur Médiapart (janvier 2017)
Coup de cœur littéraire de la FNAC (janvier 2017)
Aura Xilonen, prodige mexicaine des lettres sur l'Express  (février 2017)
L'article enthousiaste de Daniel Jacob sur Bibliobs. (février 2017)
L'avis de Cannibales lecteurs (blog) (février 2017)
Toutes les langues du Mexique, dans l'Humanité (février 2017)
Un fabuleux (clan)destin dans Elle (février 2017)
Laissez-vous emportez par une tornade, dans Actu du noir (février 2017)
Une véritable révélation : le mur d'Aura Xilonen sur Nouveaux Espaces Latinos (mars 2017)
Une belle révélation des lettres mexicaines, Dealer de lignes (mars 2017)
Des murs pas encore construits que les mots ont déjà le pouvoir de fracasser, La Vie, (mars 2017)


Premio Mauricio Achar Literatura Random House 2015 Aura Xilonen, en un "ingleñol" que sorprende, narra los problemas sociales, el miedo, la soledad, pero también el amor al que los migrantes se enfrentan en un país del que siempre serán expulsados. Y entonces se me ocurre, mientras los camejanes persiguen a la chivata hermosa para bulearla y chiflarle cosas sucias, que yo puedo alcanzar otra vida al putearme a todos esos foquin meridianos. Al fin, nací muerto y no tengo ni pizca de miedo. Así habla Liborio. De esa forma piensa. Él debe dejar México, esa tierra que no le ha ofrecido nada más que golpes y el instinto de sobrevivencia, tras un asesinato imprudencial. Cruza, como tantos otros, el Río Bravo para llegar "a la tierra prometida". Y en un barrio indefinido de cualquier ciudad gringa, este mojado nos cuenta su historia. Gracias a los recuerdos y a la voz de Liborio descubrimos una infancia desnutrida, abandonada, y una juventud en la que ya no importa arriesgar todo. Él empieza trabajando en una librería donde descubre la inutilidad de las palabras; después conoce a la mujer con la que fantaseará hasta llegar a la obsesión; y finalmente encontrará un camino en el que, tal vez, consiga salvarse: será un boxeador. La vida de Liborio es deslumbrante por el lenguaje con el que está hilvanada y el cual demuestra, a su vez, resistencia y fascinación.


El articulo de Carlos Paul en  La Jornada en 2016.