éditions Le Livre de Poche
Sandra Khan est journaliste au San Francisco Chronicle. Elle est en reportage à Ciudad Juarez, ville mexicaine de l’état de Chihuahua où depuis 1993 des milliers de femmes disparaissent. Régulièrement, le désert qui l’entoure rend des cadavres de victimes violentées, violées et parfois mutilées. Comme tous les enquêteurs qui ont affronté ce drame, Sandra va se heurter aux autorités impuissantes, inactives ou corrompues, au crime organisé qui trafique les filles comme il le fait de la drogue, c'est-à-dire comme une marchandise comme une autre. Il faut aussi compter avec toutes ces petites usines de montages, les maquiladoras, qui emploient un sous-prolétariat féminin soumis au bon vouloir des petits-chefs et qui fait une proie facile pour les hommes sans scrupules. Parce qu’elles sont femmes, nombreuses et qu’on est dans une région du monde où ont ne les considèrent pas, elles disparaissent et meurent dans une relative indifférence. D’autant qu’il y a parfois derrière ces sombre activités, des commanditaires puissants. Sandra en fera la cruelle expérience.
Comme Patrick Bard l’a fait dans La frontière, Maud Tabachnik a choisit de placer son roman à Ciudad Juarez. Avec presque 1,5 millions d’habitants, cette ville située sur la frontière avec les Etats-Unis concentre tout ce que l’homme a de mauvais envers la femme. Prostitution, viol, vol d’organes, snuffmovies, et sadisme rythment les jours et les nuits. Police et justice sont absentes, quand elles ne sont pas des complices bienveillantes voire actives. Les journalistes curieux ne font pas de vieux os, comme les défenseurs des droits de l’homme ou les membres d’associations d'aide aux victimes. Quant aux politiciens, c’est celui qui graisse le plus leurs pattes qui aura leur silence, ou leur soutien. Alors, la ville s’enfonce lentement dans ce terreau glauque et sordide, sans avenir, sans espoir et sans lumière. Même le nombre de cadavres n’y change rien, ou si peu.
Le roman est enlevé et le ton percutant. Le regard d’une femme sur ce féminicide est d’autant plus solidaire et vengeur. Il est aussi un hommage aux rares journalistes qui osent encore publier sur ce sujet. Comme le dit Sandra Khan : « personne ne peut regarder le Diable en face sans se brûler ».
Sur ce blog sur le même sujet, La frontière
Ph. H.