Pages

21 mars 2012

La griffe du chien

Don Winslow
éditions Fayard, 2007
traduit de l'anglais par Freddy Michalski

Evacuons tout d'abord les points négatifs. Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas eu entre les mains un livre avec autant de coquilles d'impression, de fautes typographique ou d'orthographe et tant de mauvaises traductions. Mais l'auteur n'y est pour rien. Une nouvelle édition et une nouvelle traduction seraient utiles. Dans sa version poche, La griffe du chien a 827 pages. Autant dire que c'est du lourd. Il en fallait ça pour écrire ce récapitulatif sur le trafic de drogue entre 1975 et 2004. Comme l'annonce la quatrième de couverture, le roman mêle fiction et faits réels. A la fin, on ne peut que constater que ces faits réels alimentent grassement l'actualité depuis bien longtemps, et que la part de fiction ne concerne, malheureusement, que les données accessoires du livre.

A travers une galerie de personnages, un flic étasunien de l'antidrogue, des barons du narcotrafic mexicains ou colombiens, la mafia de New-York, des call-girls aux clients issus de milieux antagonistes, des prêtres mexicains dont certains sont sensibles à la théologie de la libération alors que d'autres émargent à l'Opus Dei, des baroudeurs anciens du Viêt-Nam et soldats perdus de l'IRA, Don Winslow raconte comment les Etats-Unis d'Amérique et leurs multiplies officines publiques ou secrètes gèrent le commerce de la drogue. Car si le roman égraine les batailles les unes après les autres, l'image qui prévaut est celle d'une gestion plus que celle d'une guerre totale avec une vraie stratégie d'éradication. On en apprend donc de belles tout au long des nombreux chapitres, des différentes époques et des différents lieux, même si le nombril du livre - et du trafic - se situe au Mexique.

"Pauvre Mexique, si loin de Dieu et si près des Etats-Unis" disait Porfirio Diaz. On découvre par exemple, comment le PRI (Partido Revolucionario Insttutional) a négocié en 1985, après le grave tremblement de terre, l'appui financier des cartels pour la reconstruction du pays, en échange de regards détournés. En même temps, les cartels participeront à la campagne électorale pour aider le PRI. Pour une somme estimée à 25 millions de dollars, les cartels ont oeuvré pour éviter l'élection en 1988 de Cuauthémoc Cardenas, candidat du PRD (Partido de la Revolucion Democratica) et de la gauche, après une rocambolesque panne d'électricité qui provoqua, chez les ordinateurs, un curieux comptage des voix. En alternance avec les nombreuses scènes de violence (non démenties par la réalité quotidienne des mexicains), on assiste parfois à de spectaculaires conversations. Ainsi celle d'un évêque proche de la population et des pauvres, face à un cardinal proche des pouvoirs, nationaux et du Vatican, au sujet du nombre de conversions au protestantisme au Chiapas : " ainsi c'est cela le vrai fond du problème, Coca se fait de la bile parce qu'il risque de perdre des parts de marché au profit de Pepsi !".

Parce que derrière les tenants et aboutissants du trafic de drogue se cachent des motifs bien peu avouables. De l'argent on ne peut plus sale transite par tout un tas d'organisations étatiques, parfois au grand jour, souvent dans l'ombre, et qui sert à financer der armes, des formations de militaires dans la sinistre Scholl of americas, à payer des escadrons de la mort et des mercenaires paramilitaires recrutés dans les milieux anti-communistes. Ce que le livre met en évidence, c'est que l'Oncle Sam a plus peur du communisme (et des formes diverses et variées qu'on lui colle) que de la drogue. Et au fil des années et des conflits dans les Amériques, il utilisera sans honte le pouvoir de l'une contre l'extension redoutée de l'autre. Au nom de cet anticommunisme, c'est toute la politique des Usa sur le continent américain, de la Bolivie au Guatemala qui est en cause, illustrée par exemple par le financement des Contras du Nicaragua pour faire face aux Sandinistes.

Une partie du livre est consacrée à la constitution des cartels tels que le Mexique les a connus jusqu'à l'arrivée de Calderon, le président du Mexique depuis 2006, qui a voulu afficher une guerre sans merci contre les barons. Jusqu'aux années 1980, quand le Mexique n'était qu'un point de passage entre la Colombie productrice et les Usa consommateurs, les adorateurs de San Jesus Malverde étaient organisés en pyramide. L'arrivée des frères Barrera va chambouler ces structures fragiles, et ils vont mettre en place une organisation horizontale, la federacion, bien plus efficace et bien plus solide. Celui que Don Winslow masque avec ses frères Barrera pourrait bien être le Chapo Guzman, les pérégrinations des frangins sont manifestement inspirées de la vie tumultueuse d'El Chapo. Les grands patrons du cartel seront de tous les coups fourrés. En 1994, année électorale qui doit donner un successeur à Carlos Salinas - dont le nom qui n'est pas écrit suinte pourtant à chaque page - le successeur désigné est le priiste Luis Donaldo Colosio, qui n'a pas bonne réputation. Il voudrait, à la veille de la signature de l'ALENA (Accord de Libre Echange Nord Americain ou TLC Tratado de Libre Comercio) un Mexique un peu plus moderne et plus propre. Ses projets contrariants les affaires des véritables maitres du pays, il sera assassiné le 23 mars 1994 à Tijuana. Après l'effondrement de l'économie mexicaine, l'auteur évoque le retour des seigneurs de la drogue au premier plan, par la relance de l'activité à grands coups de narcopesos, toujours avec la complicité du PRI, et toujours avec les mêmes contre-parties. En même temps, les recettes appliquées en Amérique centrale seront mises en oeuvre au Chiapas ou les Zapatistes se sont soulevés, chose intolérable pour les Usa comme pour le gouvernement du Mexique, mais le Mexique étant un état souverain et indépendant, pas question d'avoir recours à l'aide militaire des Usa. Par contre, une collaboration sous couvert d'une opération anti-drogue est plus discrète.

Dernière invitée à cette table ou se mélangent les intérêts les plus vils et les partenaires les plus cyniques, une grande compagnie de l'agro-alimentaire qui participe à la destruction des champs de pavots ou de marijuana. En Colombie ou au Sinaloa, les Usa ou leurs subordonnés, répandent à partir d'avions et d'hélicoptères des agents chimiques destinés à détruire les champs. L'utilisation du produit préconise une certaine dilution. Mais ces recommandations ne sont pas respectées. Le produit est utilisé dans des conditions bien plus puissantes, visant à détruire la drogue mais aussi toute activité agricole, histoires que les petits paysans cocaleros ne puissent planter quoi que ce soit et alimenter ainsi les FARC. Et si au passage le produit est toxique pour les humains, qu'importe, ce sont des graines de guerilleros. Cette stratégie permet à Monsanto d'écouler des tonnes et des tonnes de Round-up ultra.

A la fin de la lecture, on est sous le choc. La corruption mène ce monde, l'infiltration de toutes les institutions est de mise,  les relations sont faussées et la violence est l'unique mode de règlement. Comme cela est plusieurs fois répété, on n'a le choix qu'entre l'argent ou le plomb ! C'est le grand bal du cynisme et de la manipulation et les multiples collusions, de l'eglise catholique à la mafia, de la Cia à Los Pinos, dévoilent un bien sombre tableau. Il est beaucoup question de profit, d'influence, de pouvoir et de puissance. Mais la lutte contre le narcotrafic dans le but de préserver les population n'est manifestement pas une préoccupation première.

L'auteur qui a consacré 6 ans à l'écriture de ce roman a réussi son entreprise. On peut toutefois regretter la répétition des mêmes mécanismes qui engendrent les mêmes scènes à plusieurs reprises. Cela alourdit un peu la lecture sans rien apporter rien de nouveau ou fondamental. Cela mis à part, La griffe du chien s'impose comme un roman de référence sur le sujet.

On se demande alors ce qui va suivre la stratégie de guerre totale menée par le président Felipe Calderon après les élections de juillet 2012 au Mexique ? L'éclatement de la federacion mise en place par les frères Barrera (roman) a déclenché une bataille pour le contrôle du trafic entre les cartels et on s'achemine lentement vers les 40 000 morts depuis 2006. L'avenir est plus que jamais incertain.

PhH

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire