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6 mars 2021

Tristessa

 Jack Kerouac
éditions Gallimard, 04-2013

 

La peau sur les os, mais une peau de pêche et de café, et ça suffit pour faire une femme, une "Tristessa" - bien nommée, il faut le dire, entre cauchemar et veille - une Aztèque des faubourgs aux yeux athées, douloureuse comme le Mexique où se tapit, dans des ruelles sombres encombrées d'odeurs, l'autre côté du rêve américain, ce miroir sans tain.

Et ça suffit pour faire un livre qui "change la langue", rempli d'anamorphoses extravagantes, phrases inachevées, mots tordus, rapiécés, inventés, impossibles. Un roman mystique et déglingué comme les vrais chagrins d'amour. Désir ou délire, drogue ou Nirvana, amour ou fantasme, nuit blanche ou éternité...

Une seule certitude, le texte lui-même, dévergondé, abandonné, il tourne autour de ce corps d'Indienne, corps malade et merveilleux, tel un papillon autour d'une ampoule nue allumée dans le noir.  

Entre poésie et sentiments rapiécés, Tristessa nous invite dans une relation impossible entre Kerouac et la prostituée Esperanza Villanueva. Dans un Mexique miséreux, souffreteux, les êtres erratiques survivent dans la religion ou le réconfort d'une cuillère chauffée à la bougie.

 

 « Cette façon qu’elle a de se planter au beau milieu de la pièce avec les jambes écartées pour discuter, Tristessa, on dirait un camé au coin d’une rue de Harlem ou de n’importe où dans le monde, Le Caire, Bombay, dans ce monde où on se tutoie du nord des Bermudes aux confins de l’Arctique, là où la terre se déploie comme une aile d’albatros, mais la drogue qu’on prend là-haut, chez les Esquimaux dans les igloos au milieu des phoques et des aigles du Groenland est moins nocive que la morphine germanique que cette Indienne doit subir à en mourir dans la terre de ses ancêtres. »

En racontant son amour pour Tristessa, jeune prostituée mexicaine, Jack Kerouac nous offre l’un de ses récits les plus poignants, prière à une nouvelle Madone, perdue dans les cercles du désir et du manque.

 Fiche du livre sur le site de Folio

 

L’attachement de Kerouac au Mexique s’est également exprimé dans le court roman (ou longue nouvelle) qu’il a intitulé Tristessa. Le personnage donnant son nom au livre est basé sur une rencontre réelle, celle d’Esperanza Villanueva – femme mexicaine, prostituée et toxicomane, connue par Kerouac en 1955 par l’intermédiaire de Bill Garver. Il en fait une image emblématique d’un Mexique tragique et souffrant dans une misère surréaliste (il faut lire les descriptions que fait Kerouac du taudis où habite Tristessa avec sa sœur, ainsi qu’El Indio, un autre toxicomane, des volailles, un petit chat « rose », un petit chien chihuahua, etc…) Tristessa est montrée comme une « Indienne pauvre – pareille à celles que l’on devine dans l’obscurité épaisse des entrées d’immeubles, on dirait seulement des trous d’ombre et non des femmes, mais si on y regarde à deux fois, alors on reconnaît la mujer courageuse et noble, mère, femme, la Vierge du Mexique – Dans un coin de la chambre de Tristessa il y a une énorme icône » . Kerouac identifie Tristessa à une Madone (« cette Madone triste et bleue et mutilée ») et en même temps à une mystique indienne (« elle connaît le karma… ») héritière d’une sagesse ancestrale : « elle vérifie en elle-même cette sombre croyance aztèque, cette sagesse instinctive… ».

Lire l'article "Le Mexique de Jack Kerouac " sur le site de La Revue des Resources

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