27 janvier 2012

Le Poulpe et les Aztèques

Le Poulpe, surnom de Gabriel Lecouvreur, est un personnage de romans policiers, crée par Jean-Bernard Pouy, qui a écrit le premier chapitre de la collection. Débutée en 1995, le Poulpe ne va pas tarder à vivre sa 200e aventure, sous la plume d’auteurs divers. Personnage des années 90, Le Poulpe est avant tout un fouineur, attiré ou convoqué par les évènements politiques, sociaux ou criminels qui jalonnent le quotidien. Ni flic, ni privé, c’est un altruiste de l’enquête, un Zorro aux ambitions modestes, qui ne va pas sauver tous les pauvres et maltraités, mais au moins de donner un coup de pouce ou sortir de griffes agressives les cas dont il a décidé de s’occuper. Embrouilles politiques, corruption, conflits sociaux, banditisme, son catalogue d’intervention est large dés lors qu’un ami, une connaissance ou une simple victime d’injustice est en danger.

Charpenté par quelques codes d’écriture et par le caractère du personnage, libre et curieux, que chaque auteur doit respecter, notamment son penchant à forte déclivité qu’il a pour la bière, chaque titre de la série est prétexte à un jeu de mot.

Gabriel Lecouvreur a par deux fois rencontré le Mexique et ses ancêtres emblématiques que sont les Aztèques. En 1999, il s’est rendu à Guadalajara dans l’épisode intitulé L’Aztèque du charro laid. Jeu de mot multilingue puisque intégrant le charro, c'est-à-dire le prototype du mexicain cavalier. Le charro pratique la charreada ou charreria, exercices hippiques au cours duquel il démontre son habileté à monter à cheval, sa dextérité au lasso et à la capture de bovins. Très populaires au Mexique, les charreadas sont des fêtes hautes en couleurs, pour lesquelles les participants, femmes et hommes, revêtent les habits traditionnels qui symbolisent cette culture.


Dans cette histoire, Le Poulpe rencontre Rosana qui a bien des soucis. Dans une intrigue calquée sur les tragiques évènements de Ciudad Juarez, il doit affronter des sales types pour qui les filles, surtout jeunes sont des marchandises, indispensables pour le sexe et les vidéos qu’ils tournent et qui alimentent le sombre marché du snuffmovie. Comme le dit la 4e de couverture : « L'Aztèque est saignant, mais pas très tendre. La cantina du Charro Feo abrite de bien vilains cocos, locos de chair fraîche et de crimes vidéo. L'horreur est humaine dans ce Mexique décidément pas très catholique, et le diable rôde sous le bénitier ». L’Aztèque du charro laid a été écrit par Pierre Delepierre qui vit au Mexique, ce qui permet au héros de déguster, sous la plume d'un connaisseur, de la Corona, Dos XX, Tecate, Bohemia, Pacifico …

L’Aztèque du Charro laid
Pierre Delepierre
Editions Baleine – 1999
 
Dans Aztèques freaks, de Stéphane Pajot, le Mexique n’est qu’un élément d’arrière plan. Parmi la galerie de monstres de l’Olympic Circus, certains ont des accointances avec les civilisations précolombiennes. On est bien loin du continent américain puisque l’action se déroule à Nantes. Toutefois, l’image de couverture qui représente Wanda, une charmeuse de serpent, n’est pas sans rappeler une scène torride jouée par l’actrice mexicaine Salma Hayek dans le film de Roberto Rodriguez, Une nuit en enfer, scène au cours de laquelle la voluptueuse Salma se déhanche langoureusement enlacée avec un énorme python. L'auteur évoque aussi par l'intermédiaire de liliputiens aztèques (comprendre d'origine mexicaine), l'horrible famine des années Lapin (selon le calendrier des dits aztèques) autour de l'année 1454, contre laquelle Moctezuma 1er aurait fait sacrifié aux Dieux des nains, des géant, des albinos et autres individus au physique anormal, en les précipitant dans un puits près de la lagune de Chumaya*. Il y a aussi un petit passage sur El Xolo, El Xoloïtzcuintle, le chien envoyé du dieu Xolotl. Dans la mythologie, ce chien aidait les défunts à rejoindre l'au-dela. Cette légende a été mise en scène par la troupe de théatre de rue nantaise, Royal de Luxe, à son retour du Mexique en 2011. Les puristes mexicanophiles remarqueront au cours de cette agréable ballade dans la ville de Nantes (à Montaigu) quelques rares confusions entre les cultures mayas et aztèques.


Aztèques Freaks
Stéphane Pajot
Editions Baleine – 2012

S’il n’est allé, à ce jour, qu’une fois au Mexique, cet octopode défenseur de la veuve et de l’opprimé s’est rendu plusieurs fois en Amérique latine, notamment au Chili, ou sous la plume de Gérard Delteil, il a subi un douloureux Chili incarné, titre mirroir du chili con carne, qui n’est pas, comme chacun sait, le plat national mexicain !

Chili Incarne
Gérard Delteil
Editions Baleine – 1998


Les amateurs de calembours remarqueront qu’avec le mot aztèque, on fait rapidement le tour des jeux de mots possibles et qu'ils tournent toujours autour du filet de boeuf. Je vous en livre un dernier. A l’époque précolombienne, dans le Mexique dominé par les Aztèques, les transactions commerciales se faisaient au coucher du soleil. Cette habitude n’avait pas de rapport avec le culte solaire, mais était due à une astuce des commerçants. La plupart des marchandises vendues étaient emballées dans des fibres végétales telles que le maïs, le yucca ou le cizal, qui avaient la propriété d’absorber la moindre humidité. En pesant les marchandises et leurs contenants à la tombée du jour, l’air jusque là très sec se chargeait de l’humidité du soir, aussitôt absorbée par les fibres, augmentant ainsi la tare des produits pesés. C’est l’origine de l’expression « l’aztèque tare tard ».
PhH

* Pas de trace de cette lagune sur le net.

24 janvier 2012

Mexicali city blues

Gabriel Trujillo Muñoz
Folio policier - 2011
Traduction Gabriel Iaculli

Angel Morgado est contacté par Cecilia Montaño, son amour de jeunesse, dont le mari a disparu. Ce dernier, gringo et pilote d’hélicoptère, transportait des scientifiques qui recensaient certaines espèces de cactus très rares dans le désert de Baja California Norte. Parti de Mexicali, capitale de l’Etat, il n’est jamais rentré. Les restes de l’hélicoptère qu’on présente à Morgado ne lui paraissent pas très convaincants. De même, le Parti Naturaliste mexicain, organisation écologiste qui a engagé Jésus Bull Aguirre, mari de Cecilia, se révèle rapidement être une officine fantoche.

Comme à sa courte habitude, 90 pages, Gabriel Trujillo Muñoz nous entraine dans une enquête expéditive de son héros, l’avocat Morgado. Une fois encore il pourfend les manques de la police mexicaine, sa corruption et, quand elle n’est pas corrompue, sa bureaucratie pesante qui garanti une inefficacité rare. Il ajoute cette fois la dimension internationale, en citant expressément les Etats-Unis comme complices, passif ou actifs selon le cas, dans le trafic de drogue qui fait de la frontière mexicano-étasunienne un des hauts lieux planétaires des flux de stupéfiants. Il ne manque pas l’occasion, à travers son Parti Naturaliste Mexicain, de railler le Partido Verde Ecologista Mexicano, parti officiel des Verts au Mexique, qui n’a de vert que le nom et les quelques plumes du toucan qui lui sert de logo. C’est un parti aux idées réactionnaires, il a récemment mené une campagne pour le rétablissement de la peine de mort au Mexique, pour qui l’écologie n’est qu’un mot destiné à capter quelques voix, naïves, pour le compte des coalitions électorales auxquelles il participe. Coalitions aux géométries variables puisque le PEVM, selon le temps et le lieu, peut être allié à la droite (PAN), au centre droit (PRI), plus rarement à la gauche sociale démocrate (PRD) et quasiment jamais à la gauche de la gauche (PT). C’est une organisation familiale dans laquelle la charge de président se transmet de père en fils. Les organisations écologistes mondiales ne reconnaissent plus le PEVM comme membre de leur famille politique.

En si peu de page, Gabriel Trujillo Muñoz ne peut évoquer tous les tenants et les aboutissants de la situation mexicaine. Son roman est juste une photo instantanée sur laquelle on peut voir tous les acteurs et leurs territoires de prédilections, les complices - par actions ou ommissions -, les méthodes et toutes les combines utilisées par le crime organisé. Ce survol a le mérite de la clarté.
Ceci dit, ce nombre de pages réduit est idéal pour se distraire dans un voyage d’une heure et demie, un vol Mexico DF / Cozumel en avion, par exemple.

Ph. H.

12 janvier 2012

Si nos dejan

Pièce de théatre musicale
production Ocesa Teatro, de Jose Manuel Lopez Velarde, Morris Gilbert y Federico González Compeán - 2011
avec Leticia Lopez (Paloma), Mariano Palacios (Jose Alfredito), Juan Navarro (El rey) et 29 autres acteurs.

Si nos dejan est avant tout un hommage à la chanson ranchera, à la epoca de oro du cinéma mexicain et à la culture mariachi.
C'est l'histoire de Paloma et Jose Alfredito et de leurs amours compliqués et contrariés, notamment par le père de Paloma, El Rey, qui va imposer ses prétentions matrimoniales à sa fille, dans un grand numéro de machisme, avant que ses manoeuvres soient déjouées par sa propre épouse. Si le scénario est classique et les rebondissements habituels, on est tout de même séduit par une mise en scène originale qui allie très bien tradition et modernité. Les acteurs/chanteurs sont excellents, ainsi que l'orchestre mariachi (11 interprètes) qui les accompagne. Faisant la part belle aux années 50/60, aux chansons de Jose Alfredo Jiménez et à tout le catalogue ranchero mais aussi Augustin Lara, Pepe Guizar, Gonzalo Curiel, Joan Sebastian et Cuco Sánchez entre autres. La trame suit aussi quelques films célèbres et des scènes culte du patrimoine mexicain. A noter aussi un passage inattendu et étonnant. Au cours d'une péripétie, le héros vient à mourir. Mais, magie (sorcellerie) et surréalisme obligent, on parvient à le ressusciter. Le public profite ainsi d'une scène dans l'inframonde, mélange des limbes chrétiens et de mythologie préhispanique, et qui lui permet d'entendre une belle version de la Llorona, créature légendaire pour laquelle il existe plusieurs explications, la plus répandue étant celle d'une mère cherchant ses enfants.
Ces moments tragiques ne durent guère et sont rapidement équilibrés par des scènes parodiques de la vie des charros et leurs excès de caractère. Le coté comique est également assuré par les chistes et l'utilisation de espanglish comme ce personnage qui va faire du bisnes.
Les costumes sont très colorés et nous plongent remarquablement dans les ambiances successives, qu'elles soient géographiques ou temporelles, avec beaucoup d'authenticité.


Si nos dejan a manifestement une touche de nostalgie, c'est un Mexique heureux qui est célébré, une culture riche et multiformes qui a tendance à disparaitre. Nostalgie aussi car toutes ces chansons illustrent la plupart du temps des situations délicates, des déceptions, désillusions, angoisses, comme exprimées dans Ella, Volver volver et tant d'autres. Mais loin d'être un spectacle folklorique, la pièce célèbre un Mexique vivant à travers sa musique, son cinéma, ses coutumes (y compris le malinchisme), c'est l'album photo d'une époque particulièrement intense d'un pays pour lequel on peut dire : "deux comme ça, il n'y en a pas" (como Mexico, no hay dos).

Ella - Jose Alfredo Jiménez


Pasillo del teatro, centro cultural Telmex, Mexico DF

En savoir plus sur Si nos dejan, sur le blog de Leticia Lopez.
Ph. H.

11 janvier 2012

México, Todo lo que el ciudadano quisiera (no) saber de su patria

Denise Dresser y Jorge Volpi
Nuevo Siglo Aguilar, 2006 - Decimoprimera reimpresión, marzo de 2010




Este libro no se puede describir ! Pone en escena a todos los personajes importantes de la historia mexicana, junto con ilustraciones, fotografías, mapas, cromos o grabados antiguos, muchas veces revisitados, caricaturizados, falsos formularios que rellenar, sondeos, « definiciones », ejercicios para el alumno, la perfecta indumentaria de los políticos más famosos, cómo convertirse en diputado, en candidato presidencial. El conjunto está lleno de humor más o menos negro, los autores no nadan entre dos aguas al hablar de los políticos de su país.
Este libro no se puede leer de un tirón y cada vez que lo abres encuentras otra cosa más en la que no te habías fijado antes. Es como una biblia (si se puede comparar) de la que lees dos o tres páginas cada noche y sonries, te ries o te atragantas de la risa.
¡ Lo aconsejo como medicina en contra de la morosidad ! 

Los autores :
Denise Dresser es una reconocida académica y periodista mexicana, especialista en ciencias políticas, es profesora en el Instituto Tecnológico Autónomo de México (ITAM) donde ha impartido cursos de política comparada, economía política y política mexicana contemporánea desde 1991, obtuvo la licenciatura en relaciones internacionales en el Colegio de México y el doctorado en ciencias políticas en la Universidad de Princeton, es autora de numerosos artículos sobre política mexicana contemporánea y las relaciones entre México-Estados Unidos, así como ganadora en 2009 del Premio Nacional de Periodismo en la categoría de mejor artículo de fondo.
Jorge Volpi (México, 1968). Es autor de las novelas La paz de los sepulcros, El temperamento melancólico y En busca de Klingsor (premios Biblioteca Breve y Deux Océans-Grinzane Cavour). Con ésta inició una «Trilogía del siglo xx », cuya segunda parte es El fin de la locura y la tercera No será la Tierra. También ha escrito las novelas cortas reunidas en el volumen Días de ira, así como Sanar tu piel amarga, El jardín devastado y Oscuro bosque oscuro. Es autor de los ensayos La imaginación y el poder. Una historia intelectual de 1968, La guerra y las palabras. Una historia del alzamiento zapatista, Mentiras contagiosas (Premio Mazatán al mejor libro del año 2008) y El insomnio de Bolívar. Cuatro consideraciones intempestivas sobre América Latina en el siglo xxi (Premio Debate-Casa de América 2009). En 2009 obtuvo el Premio José Donoso de Chile por el conjunto de su obra. En 2011, la revista Foreign Policy en Español lo eligió como uno de los «diez nuevos rostros del pensamiento iberoamericano ».

MA. B.