9 avril 2013

Ciudad Juárez, l'arbre qui cache la forêt ?

Depuis 1993, Ciudad Juárez, ville frontière de l’Etat de Chihuahua au Mexique capte l’attention en matière de violences faites aux femmes (féminicide). Le nombre de victimes et de disparues est difficile à établir de façon certaine tant il est important. Les organisations non-gouvernementales de défense des droits de l’homme annoncent autour de 2000 femmes assassinées et 5000 disparues. L’origine des meurtres est évidemment variée. Cela tient à l’histoire de Ciudad Juárez, une ville qui a grandi très vite après la signature de l’ALENA en 1994 et dont les maquiladoras ont attiré une importante immigration de femmes venant du reste du pays. Jeunes, sans famille proche, elles sont soumises à des contions de travail d’un autre âge et au bon plaisir des contremaîtres, ce qui, dans ce contexte peut aller très loin. Ciudad Juárez est une plaque tournante du narcotrafic et où sont établis les cartels les plus violents. Ville frontière, la prostitution y est importante et de riches clients souvent venus des USA y cherchent parfois des sensations extrêmes, le tournage de snuff-movies est régulièrement évoqué par les journalistes qui enquêtent sur les disparitions. Sur un tel terrain de chasse, il est probable que quelques serial-killers et sadiques sexuels viennent y assouvir leurs pulsions mortelles. Les tenants des nouveaux cultes comme la Santa-muerte ont du aussi y faire quelques victimes, comme la Santeria il y a quelques décennies. Tout cela est complété par une violence domestique importante, qui procure aux hommes pour qui la femme n’est qu’un objet dont on peut se débarrasser, une solution facile puisque leurs crimes vont être noyés dans la masse. La situation géographique complète le tableau. Ville entourée de déserts, y dissimuler les cadavres assez longtemps avant qu’ils ne soient éventuellement découverts ne pose pas de problèmes. Et ces déserts, des deux côtés de la frontière, sont peuplés de créatures fort peu recommandables qui y trouvent un territoire vierge de toute lois, criminels en fuite, gangs de bikers, narcotrafiquants, détraqués de toutes sorte, sectes et églises apocalyptiques etc ...

En cela, Ciudad Juárez est un exemple.

Pourtant, malheureusement, ce n’est pas, ou plus, l’endroit le plus dangereux pour les femmes au Mexique. De nombreuses associations de défense des femmes et de multiples reportages de plusieurs médias écrits ou télévisés pointent du doigt des situations qui s’aggravent partout dans le pays, notamment dans l’Etat de Mexico (capitale Toluca). L’Observatorio Ciudadano Nacional del Feminicidio y la Comisión Mexicana de Defensa y Promoción de los Derechos Humanos de las Mujeres (1) (observatoire citoyen national du féminicide et commission mexicaine de défense et de promotion des droits de la femme), établit que 922 homicides de femmes ont été recensés dans cet état entre 2005 et 2010. Chiffre supérieur à celui de Ciudad Juárez pour la même époque.

Statistiques de 2007 à 2009 publiées sur le site de la revue Contralinea


La journaliste et militante Lydia Cacho (2) avait, en 2011, dénoncé le fait que les autorités compétentes (el Sistema Nacional para Prevenir, Atender, Sancionar y Erradicar la Violencia) avait déclaré non-conforme la demande du lancement d’une alerte pour violence contre les femmes, estimant ainsi que la protection contre les périls encourus par celles-ci n’étaient pas prioritaire.

Le fait que l’état de Mexico soit un des pires en matière de violence contre les femmes n’est pas une nouveauté. En 2006, suite aux évènements d’Atenco, des policiers avaient abusé sexuellement ou violé 27 femmes. Lors des procès, des responsables syndicaux ont été condamnés parfois à 112 ans de prison. Mais à ce jour, aucun policier n’a été poursuivi ni inquiété pour viol ou abus sexuel. On notera qu’Atenco est exemplaire en matière de répartition politique de la violence, puisque les responsables étaient les dirigeants politiques de la municipalité de Texcoco, élus du Parti de la Révolution Démocratique (PRD), le gouverneur était membre du Parti de la Révolution Institutionnelle (PRI), et le président de la République mexicaine appartenait au Parti d'Action Nationale (PAN) (3)

Document en pdf (193 pages) disponible sur le site de la CMDPDH

Dans ces tristes statistiques, l’état de Mexico est suivi par Jalisco, Colima y Durango (4).

Infographie sur le site Contralinea.com.mx


Que conclure ?
Finalement, il semble que la médiatisation du cas de Ciudad Juárez ait tendance à occulter un phénomène devenu national (5).
Que c’est tout le Mexique qui a un problème avec les femmes, que le machisme sociétal et endémique est loin d’avoir disparu et semble même reprendre du poil de la bête (sens propre et au sens figuré de bête humaine).
L’explication de la sur-criminalité tenant aux spécificités diverses de Ciudad Juárez, qui n’est pas transposable à l’état de Mexico ni aux autres états, doit amener à rechercher d’autres réponses.
Que les abus d’autorité des instances de tous niveaux, depuis les municipios jusqu’à à l’état fédéral sont légions, que la police et la justice sont des institutions, au mieux inefficaces, et au pire, dans bien des cas, complices.
Que, comme l’a dit Amnesty International Mexique, « l’impunité est le phénomène le plus enraciné dans tous les cas d’abus des droits humains au Mexique… » (6).

Le premier défi pour le Mexique pour enrayer ces violences est avant tout d’en finir avec cette impunité.
Image sdpnoticias.com ©









PhH

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