Rolo Diez
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Alexandra Carrasco
titre original : Matamujeres
éditions Fayard noir, 2007
Carlos Hernández est un policier de la brigade des Relations Opérationnelles, c'est-à-dire les opérations délicates. Quoi de plus délicat au Mexique que de mener une enquête qui touche aux dramatiques évènements de Ciudad Juárez. Tout commence par l’assassinat d’une vieille dame. Les coupables potentiels sont nombreux, sa famille, des politiciens, des associés, chacun pour des motifs variés mais tous aussi vénaux les uns que les autres. L’implication d’un député local n’arrange rien, pressions sur la police, guerre des services, collusion avec le milieu, toute la panoplie des corruptions y passe. Ajoutons que le flic héros de Rolo Diez est un archétype du genre. Macho, polygame, il a beau être ironique, avec le sens de l’humour, paraitre détaché voire décalé, il n’en reste pas moins que ses méthodes sont loin de la légalité, ses manières avec les femmes n’ont rien de romantique et il traite durement ses amis. Il ne force pas vraiment la sympathie avec son code d’honneur très personnel en guise d’éthique professionnelle. Mais peut-il en être autrement dans ce pays ? Le portrait qu’en dresse l’auteur est conforme à la réalité actuelle. De Mexico DF à Ciudad Juárez, Carlos Hernández met à jour les collusions entre le crime organisé, le monde industriel et des affaires et le milieu de la politique. Autant d’acteurs qui se croisent, s’entrecroisent et se mélangent. En face, des policiers avec peu de moyens, d’où la nécessité de chercher d’autres sources de revenus que le seul salaire, et pas de soutien. On glisse plus volontiers des peaux de bananes sous leurs démarches quand on ne leur met pas les bâtons dans les roues. Tout au long de cette enquête policière classique, la bière coule à flot, les femmes voluptueuses se succèdent devant le regard concupiscent de Carlos et les fusillades éclatent comme les orages de la saison des pluies. On suit le quotidien d'une classe moyenne prise entre la modernité économique et les besoins qu'elle suscite, et la baisse de revenu de cette même classe dans un pays ou pourtant la richesse de certains est aussi opulente qu'indécente. La vie des femmes, encore soumise à des archaismes culturels conjugués à cette précarité économique, glisse vers un nouveau prolétariat, lumpen même pour les travailleuses des maquiladoras, et rend celles qui restent au foyer encore plus dépendantes des hommes. C’est un roman noir, sale, et lépreux comme les murs d’une cellule d’une geôle mexicaine, chaud et glauque comme l'arrière salle d'une cantina un soir de quinzaine, rauque et aigri comme les dernières roucoulades des mariachis au petit jour sur la place Garibaldi.
Côté histoire, on reste tout de même un peu sur sa faim. Le fatalisme du héros ne pousse pas à l’optimisme. Les résultats qu’il obtient malgré tout montrent une fois de plus les liens étroits entre la pègre, la police, la justice et la politique. Les personnages, très nombreux, manquent un peu d’épaisseur. Le tout est assez confus et l’enchainement des chapitres manque un peu de fluidité, malgré un style incisif qui donne beaucoup de vivacité. Quant à Ciudad Juárez, il en est finalement assez peu question, trois chapitres, mais assurément les moments les plus forts du roman. Sans s’appesantir sur des hypothèses ou des suggestions de pistes, Rolo Diez imagine, avec des mots très simples et très percutants, l’enlèvement d’une jeune fille au sortir de son travail et de ce qu’il advient d’elle. Loin de la brutalité des descriptions d’autres livres abordant le sujet ou dont c’est le thème central, l’auteur nous plonge dans l’angoisse de cette victime d’une façon très évocatrice. Le féminicide de Ciudad Juárez n’est pas le sujet d’Eclipse de lune, contrairement à ce qui est dit en quatrième de couverture. C’est plutôt un décor général, une ambiance qui pèse, un témoignage supplémentaire apporté. A moins que l’étendue du problème et le nombre de disparues participent à une fascination des romanciers.