Sauvage tome 2
Scénario : Yann - Dessin : Félix Meynet
Éditions Casterman, 01/2017
En 1864, le Mexique est en partie occupé par un corps expéditionnaire français. Engagé au sein de l’armée impériale du Mexique, le sous-lieutenant Félix Sauvage poursuit sa quête de vengeance contre le marquis de Trazegnies, lui-même commandant de cavalerie au sein de l’armée impériale du Mexique et responsable du sort de ses parents. Mais sur sa route se dressent d’autres intrigues qui le dépassent et auxquelles il se trouve mêlé. Après la mort de leur frère Honoré engagé dans le corps expéditionnaire, sa sœur Clémentine Sauvage, femme d’honneur et de caractère, décide de s’engager sur le champ comme cantinière au Mexique. Il lui revient à elle, avant Félix, de venger leurs parents. Mais un an plus tard, c’est Félix qui se retrouve dans l’armée française au Mexique, tenant sa sœur pour morte, avec le devoir d’honorer la vengeance. Il y découvre les méthodes atroces du colonel Dupin, chef du l’escadron de contre-guérilla, qui fait exécuter ses prisonniers en faisant galoper des chevaux sur leurs têtes dépassant de terre. Il reçoit comme une échappatoire à cette barbarie la mission d’aller porter son bâton de maréchal au commandant Bazaine. Au cours de cette mission, Félix se rend compte qu’il était poursuivi par Agnès de Salm-Salm, qui nourrit de son côté un tout autre dessein, l’évasion de son mari, prisonnier des mexicains.
Le premier titre retenu pour ce tome 2 était « Le spectre de Chapultepec ». Voir la fiche du tome 1.
© Casterman - Dupin, en uniforme mexicano-hongrois et ses méthodes expéditives
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Sauf sur le plan militaire et la célèbre bataille de Camerone, l’intervention française au Mexique (1861-1867), se solda par un fiasco que les livres d’histoire évoquent peu. Le scénario de Yann, sur trame de fond de vengeance familiale, mêle avec succès aventure, exotisme, western et romance. Avec Félix Meynet au dessin, la griffe artistique est maîtrisée et aboutie, avec une très haute exigence concernant les uniformes, vêtements et les décors. L’ambiance graphique qui en résulte est une indéniable réussite.
© Casterman - Les uniformes très fidèlement dessinés par Meynet |
L’album évoque aussi le Colonel Charles Dupin, personnage historique pittoresque qui, à la tête de sa troupe de contre-guérilla, laissa un mauvais souvenir au Mexique. Après la prise d’Oaxaca, les militaires furent envoyés combattre au nord du Mexique, là où la guérilla était la plus virulente. Le corps expéditionnaire n’était pas habitué à lutter de cette manière : lorsque les rebelles étaient en position de force, ils attaquaient, dans le cas contraire, ils fuyaient. En outre, ils avaient des chevaux, ce qui n’était pas le cas des Français. Afin de lutter contre cette stratégie, se mit en place la contre-guérilla du colonel Dupin : une troupe d’hommes du pays, connaissant le terrain sur lequel ils s’aventuraient, équipés de chevaux, agissaient en marge de l’armée française. Les exactions de Dupin sont restées dans la mémoire collective mexicaine dans les régions où il a sévi (états de Veracruz, Puebla, Oaxaca). Il arrive encore aujourd’hui que les enfants turbulents soient menacés de la venue d’el Dupin (prononcer doupine), comme on le ferait en France avec le croquemitaine.
Le colonel Dupin au Mexique |
Son portrait est dressé dans plusieurs ouvrages (extraits) :
- Charles est un officier français, baroudeur-buveur-joueur-pilleur-violeur, qui participe aux expéditions impérialistes. Depuis peu, Dupin commande une unité de contre-guérilla chargée de tenir à distance les Mexicains libéraux et les bandes de brigands qui sévissent dans les basses terres. Disposant d’une troupe bigarrée d’environ 150 cavaliers, parmi lesquels des Indiens prêts à se livrer à des exactions moins pour combattre les libéraux du président Benito Juárez que pour terroriser les populations et faire le vide autour de lui, l’intellectuel baroudeur Dupin – surnommé la « hyène de Tamaulipas » par les Mexicains – pense parvenir à rétablir la sécurité en recourant à une technique d’engagement inédite qui fait une large place aux méthodes expéditives de l’adversaire, parmi lesquels brigandage et cruauté le plus souvent gratuite figurent en bonne place. De plus, les légionnaires ont subi des conditions de détention sévères : les exactions du colonel Dupin ne pouvaient qu’exaspérer la population civile et les soldats réguliers et irréguliers de l’Etat de Veracruz qui ainsi vengeaient leurs morts.
(Camerone - 30 avril 1863, André-Paul Comor, Tallendier, 2012)
- Le Mexique ne pouvait que tenter un pareil caractère, et il s’engagea d’abord dans les troupes mexicaines. Mais Forey, puis Bazaine, séduits par sa personnalité et son efficacité, lui confièrent l’organisation de la contre-guérilla dans les Terres chaudes où sa science du terrain, sa technique de l’engagement et son peu de respect pour les règles classiques de la guerre firent merveille. Au grand dam des généraux, il ne dépendait que du commandant en chef qui lui avait donné carte blanche. Sa bande de soldats-brigands qui lui étaient tout dévoués et lui-même avec sa grande barbe, son uniforme mexicano-hongrois éclatant et bizarre et son pistolet dans la ceinture, furent bientôt connus de toute l’armée, et ses colonnes infernales, redoutées des libéraux. Sur les territoires qu’il contrôlait, il signait les décrets « gouverneur Charles Du Pin ». Ses méthodes étaient expéditives. Il multipliait les coups de main, exécutait les prisonniers, brûlait les villages soupçonnés de connivence avec les juaristes, éliminait les civils suspects. Il ne faisait pas de quartier et les actes de cruauté ne le rebutaient pas. Sa tête fut mise à prix pour 100 000 francs, en vain. Dans le même temps – car l’homme était complexe – il écrivait de tendres lettres à sa nièce qui aurait voulu l’épouser si seulement ses parents y avaient consenti, et il dira lui-même : « J’ai fait une guerre atroce ». Remis en activité hors cadre, il avait été fait commandant de la Légion d’honneur et cité à l’ordre du corps expéditionnaire. Mis en cause par l’empereur Maximilien, et par ses pairs à la fois jaloux de ses résultats et réprobateurs des moyens employés, le « monstre » des Terres chaudes, le « diable rouge » fut renvoyé en France en avril 1865 et remplacé par le capitaine Ney d’Elchingen. Une enquête sur ses agissements aboutit à le laver d’accusations de détournements de fonds et il revint au Mexique en janvier 1866. Cette fois, Bazaine refusa d’obéir à Maximilien furieux de son retour et déclara à l’intéressé : « Je serais trop heureux d’avoir beaucoup d’officiers de votre trempe. » Mais l’affaire Du Pin, qui fit grand bruit, illustra pour tous des deux côtés de l’Atlantique, les conditions pénibles et les moyens discutables de l’intervention, et Du Pin finit par être remplacé.
(Dictionnaire du Second Empire, Dupin Charles-Louis, Fayard, 1995)
Pour en savoir plus :
L'expédition du Mexique sur Histoire du monde
Dupin le chacal sur le blog de Claire GrubeMédaille de la campagne du Mexique |
PhH