Margaret Millar
Traduit de l’anglais (Canada) par Jean-Patrick Manchette
Editions du Masque, 05-2014 (réédition, première publication en 1972 en France)
Résumé de l’éditeur :
Depuis un an, le mari de Devon, Robert Osborne, propriétaire d'une exploitation fruitière en Californie, a disparu. Le corps reste introuvable mais la présence de sang et d'un couteau dans un champ ne laisse que peu de doutes sur son décès. Du sang, on en a aussi retrouvé des litres, bus par le plancher de la cantine. On a dragué le cours d'eau, battu les collines de Tijuana, inspecté les ranches voisins : aucune trace, aucun indice. Une année entière de recherches pour rien. C'est pourquoi demain, au tribunal, le juge va déclarer solennellement que, le soir du 13 octobre, entre 20 h 30 et 21 h 30, Robert Osborne a été roué de coups. Et sans le moindre doute raisonnable, Robert Osborne est mort. Point final. Ou presque. Déterminée à faire son deuil, la veuve demande au juge de clore l'enquête et de déclarer Robert Osborne officiellement mort. Au fil de l'instruction, les révélations sur le couple et leurs employés mexicains se succèdent. Tandis que Devon essaie d'imposer son autorité au sein du ranch, l'étau se resserre peu à peu autour de la communauté mexicaine...La chronique de PhH
Le Territoire des monstres est souvent considéré comme exemplaire parmi les romans de suspense psychologique. Il décrit sans concession aucune un contexte de racisme et de haine familiale. Le roman a pour cadre le sud de la Californie, tout prêt de Tijuana et de la frontière mexicaine, lieu de passage pour les migrants, parmi lesquels un grand nombre de clandestins. Ceux-ci vont s’embaucher dans les exploitations fruitières où ils seront terriblement exploités et déconsidérés.
Le roman est une chronique de cette partie des États-Unis qui « accueille » des milliers de mexicains et autres latinos dans les années 1970. Déjà, ces travailleurs sont vus comme une armée de fantômes affamés venus du côté aride de la frontière, ligne invisible tracée entre les anglo-saxons blancs propriétaires, et les ouvriers alambres basanés, entre ceux qui cultivent les fruits arrosés de leur sueur, de leurs larmes et parfois de leur sang, et ceux qui les mangent, ignorant l’existence et les conditions de vie de ceux qui les produisent. L’histoire racontée par Margaret Millard explore les relations complexes entre exploitants et exploités, l’évolution de ces relations avec l’âge des protagonistes les rendant parfois paradoxales, tout comme l’est l’ambiance familiale, tendue pour le moins, dans ces familles quasi dynastiques ou l’argent et la possession est le seul repère et le machisme une loi. On lit comment les enfants sont élevés selon qu’ils sont nés d’un côté ou de l’autre de la frontière, physique et géographique, mais qui s’hérite, ainsi que les privilèges ou asservissements afférents. On grandit ensemble puis l’un devient maitre et l’autre valet.
Portrait d’une forme d’esclavage moderne, la force du roman réside dans la description fidèle des situations et de cet équilibre basé sur l’injustice. l'écriture au ton faussement subtil est intransigeante et le suspens mené d'un bout à l'autre, suivant une courbe ascendante régulière jusqu'au dénouement.
PhH