25 février 2011

La frontière

de Patrick Bard
éditions du Seuil, collection Points

Présenté sous la forme d’un roman, La frontière se révèle être une enquête particulièrement étayée sur ce que l’on appelle le féminicide de Ciudad Juarez, ville de l’état de Chihuahua au Mexique. En 2010, avec presque 1000 assassinats, Ciudad Juarez est devenue l’une des villes les plus violentes et les plus dangereuses du monde. Les disparitions de femmes puis la découverte de leurs cadavres abandonnés dans le désert a commencé en 1993. Amnesty International évalue en 2008 le nombre de corps retrouvés à 1653, pour 2000 disparues.


Patrick Bard met en scène le journaliste Toni Zambudio. Il va suivre toutes les pistes possibles, qui sont en fait une multitude de pistes réelles. Que ce soient les conditions de travail et les contremaîtres abusifs qui sévissent dans les maquiladoras, les chauffeurs des transports publics ou privés, les narcotrafiquants, les maquereaux, les maris jaloux, les amants anonymes ou les pervers, tous ces acteurs se rejoignent pour exercer les pires violences sur les femmes, allant jusqu’au meurtre. Il est vrai qu’on dit souvent qu’au Mexique la vida no vale nada. C’est cette impression lourde et nauséeuse qui saisit le lecteur à bras le corps, tout le long du récit, à chaque cadavre retrouvé, quand la victime à été violée et mutilée de surcroit. Non seulement la vie de ces filles ne vaut rien, mais elles sont plus mal traitées que ces objets de consommation qu'on jette après usage. Le malaise s'accentue  lorsqu’est abordée la piste des snuffmovies, ces films pornographiques poussant le sadisme jusqu’à l’assassinat devant la caméra, films dont certains gringos seraient friands et paieraient cher pour se les procurer. Car Ciudad Juarez est aussi une ville frontière, de l’autre côté il y a El Paso aux Etats-Unis. C’est un point de passage pour le crime organisé, les trafics en tous genres et la recherche de sexe facile pour les texans dans les bars sordides du côté mexicain où, on l’aura compris, les prostituées ne sont pas toujours consentantes. Mais que vaut leur avis devant l'abondance des dollars ? Face à un tel déferlement de violence, les quelques serial-killers qui ont été arrêtés ne suffisent pas à expliquer l’étendue du massacre. D’ailleurs, après chaque arrestation, la série continue. A tel point que Ciudad Juarez est devenue la ville ou même le diable ne veut pas vivre.

Ce premier roman est vraiment un coup de maître. Le sujet est parfaitement maitrisé, fouillé, argumenté, servi par un style irréprochable et un suspens à chaque page. On l'aura compris, certaines réalités sont particulièrement dérangeantes pour les auorités locales de Ciudad Juarez, pour les autorités de l'état de Chihuahua et pour les autorités fédérales du Mexique ainsi que pour le voisin du nord. Finalement, il est juste dommage que cette fiction soit une réalité. Mais à cela, l’auteur n’y peut rien.

A voir sur la toile, un site mexicain sur les disparues de Juarez : http://www.mujeresdejuarez.org/
Sur ce blog sur le même sujet, J'ai regardé le diable en face



Ph. H.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire