28 mars 2011

Mexico, quartier sud

Guillermo Arriaga
Points (édition poche) Phébus (édition grand format)
Titre original : Retorno 201
Traduit de l'espagnol (Mexique) par Elena Zayas

Noir c'est noir comme disait l'autre. C'est la couleur dominante des chapitres du livre. Arriaga décrit quelques scènes de la vie quotidienne des habitants de l'avenida Retorno, quartier populaire de Mexico DF. Enfants violents, adultes lâches, immoralité, égoïsme, alcoolisme, il n'y a pas beaucoup de place pour la rigolade dans cette ambiance, sauf le ton détaché qu'utilise l'auteur pour dresser ces portraits rugueux, peu engageants et pas sympathiques du tout en général. Avec une plume acide et acérée, Arriaga nous plonge dans les mentalités de cette colonia d’Iztapalapa, une des plus dures du Distrito Federal. On y croise les petits monstres Roberto et Rodrigo, El Viking qui ne vaincra pas son éternel ennemi d’enfance malgré le développement de sa taille et de son courage, la veuve Diaz, mariés très jeune à un vieillard à qui elle se dévoue par amour, Romulo et ses angoisses irrépressibles dues à une paternité non-désirée qui réveille son parcours personnel. La maladie l’emporte souvent sur la santé et la mort semble plus forte que la vie. Seule une veuve dévouée et le courage d'un malade du cœur apportent une note d'optimisme. Ces chroniques de petites gens sont le reflet un peu triste d’une certaine réalité de Mexico, mégapole tentaculaire qui favorise l’individualisme au détriment de la solidarité et qui récompense plus surement la discrétion coupable à l’héroïsme inutile voire dangereux. Arriaga laisse néanmoins une place à l’amour, surtout physique, qu’il fait apparaitre comme un exutoire aux douleurs quotidiennes. Le corps des femmes est souvent le réceptacle du désarroi, de la peur et de la résignation. Avec un vocabulaire sensuel, l’auteur compare quasiment cet amour charnel à une drogue plus efficace que le romantisme qui n’a pas sa place dans ces zones. La vie y est dure et difficile, un combat permanent. Pour un roman noir, cette plongée dans les bas-fonds de Mexico dans lesquels Arriaga a vécu son adolescence, est donc une réussite.

Ph.H.

9 mars 2011

Historias desconocidas de la independencia y la revolución

Trino
Tusquets editores
(Mexico)

Au Mexique, Trino est connu par ses publications dans la presse sous forme de tiras en 5 ou 6 images. Ses personnages emblématiques sont Don Taquero, El Santos, La Tetona Mendoza ou El Rey Chiquito. Avec Historias desconocidas de la independencia y la revolución, Trino nous fait partager à travers un album complet, sa visite du bicentenaire de l’indépendance et le centenaire de la révolution. Dans le style d’un dessinateur de presse, avec des croquis très épurés à la Reiser, nous voila aux cotés du padre Hidalgo, de Jose Maria Morelos y Pavon et son paliacate rouge fiché en tête, de Vicente Guerrero, héros de l’indépendance. En deuxième partie, Adelita, los federales, Ayala (et son plan), Porfirio Diaz, Pancho Villa, et Emiliano Zapata illustrent les batailles menées par les révolutionnaires.

Dans une joyeuse ambiance totalement débridée, Trino nous raconte ces morceaux d’histoire mexicaine sur un ton iconoclaste et gentiment irrespectueux. Le trait est vif et précis, ce qui donne beaucoup de dynamise aux situations, toutes déclinées en quelques vignettes sur une ligne. Les dialogues sont savoureux, décalés et porteur d’une autodérision jubilatoire. Largement emprunté au langage populaire du XXIe siècle, on croise beaucoup de gueys, de no manches et autres chingadera ou chingoneria dans les réparties des protagonistes. Moyen aussi pour l’auteur de se moquer des nacos et fresas (populos et bobos) qui rient les uns des autres dans la société d’aujourd’hui.

Jouant sur les clichés de la société mexicaine, Trino va d’abord exalter un nationalisme forcené, avant de rétablir immédiatement l’équilibre en pointant le malinchisme incontournable de ses compatriotes.


L’effet comique est très souvent accentué par l’utilisation d’anachronismes technologiques à la mode aujourd’hui. Ainsi, les héros ou leurs faire-valoir, vérifient ou diffusent l'information sur leur blackberry, le lap-top ou sur facebook. On (ré)apprend d'ailleurs à cette occasion que pour l'état civil mexicain, Pancho Villa s'appelle Doroteo Arango.


Avec une troisième édition en octobre 2010, ces Historias desconocidas de la independencia y la revolución sont un succès de librairie au Mexique. Véritable petit manuel comparable à ce que serait « l'indépendance et la révolution pour les nuls », Trino, en plus de nous distraire très efficacement, fait œuvre d’instruction publique en permettant à son lectorat de se remémorer quelques pages illustres de son histoire. Enfin, son œil critique et sa vision ironique voire caustique lui permet, à travers ses textes et dessins sur le passé, de dresser un portrait sans concession du Mexique moderne, de ses paradoxes, de ses défauts et de ses qualités.

Ph.H.