7 septembre 2012

Mezquite Road


Gabriel Trujillo Muñoz
éditions Folio, 2012

Mexicali, état de Basse-Californie du nord, est une ville frontière. Cette frontière entre le Mexique et les Etats-unis rappelle le mur de Berlin, le rideau de fer, le mur autour de la Palestine ou les murailles de Jéricho. Même si à ce jour, aucune armée de trompettistes ne l’a détruit ni même lézardé. Pourtant il est poreux ce mur, y passe les produits de divers trafics, d’êtres humains, de drogue, d’armes ou d’argent sale. De part et d’autres de cette limite bétonnée règnent les narcotrafiquants, faisant de ce coin du continent américain une zone particulièrement dangereuse. C’est dans cet endroit peu attirant qu’est né Gabriel Trujillo Muñoz. Peu attirant mais paradoxalement, il draine malgré tout toute la main d’œuvre servile du lumpenprolétariat qui espère un travail dans les maquiladoras ou, rêve chimérique, passer au nord pour accéder au mode de vie exemplaire de l’oncle Sam.

Le livre débute sur les chapeaux (de cow-boys) de roues (de 4X4). Trois cadavres sont jetés au fond d’un arroyo. Presque en même temps, Heriberto est retrouvé mort dans une chambre d’hôtel. Anastasio, vieil ami d’Heriberto et de Morgado demande alors à celui-ci de se pencher sur les circonstances de la mort qui apparaissent bien troubles. De fait, les activités d’Heriberto étaient parfois tournées vers le jeu, et il avait contracté une dette plus que rondelette auprès d’une tenancière d’un cercle clandestin. Les amis de cette ennemie n’étaient pas des amis pour Heriberto.

L’enquête de notre avocat des droits de l’homme, ce qui n’est pas une sinécure au Mexique, va et vient entre une veuve éplorée découvrant les turpitudes de son mari, une fille lubrique mariée à un voyou, la police qui considère que c’est une affaire de drogue puisque un sachet a été retrouvé sur le cadavre. Morgado peut compter sur Anastasio, ancien militant anarchiste qui philosophe sur les temps modernes et la victoire, et donc sa défaite, de l’individualisme, de l’argent facile, et le narcotrafic qui pourrit tout.

Trujillo Muñoz pimente son récit d’allusions érotiques, de gueules de bois douloureuses sous le climat torride de Mexicali. L’auteur joue d’ailleurs sur cette chaleur accablante qui pousse parfois à la nonchalance et qui contraste avec la dureté des faits et la rapidité de leur survenance. Les intervenants sont nombreux, un gang de motards faisant dans le social lui sert d’anges gardiens. Dans les coups durs, Anastasio parvient à reformer sa brigade comme à l’époque de Ricardo Flores Magon. La police mexicaine est fidèle à sa réputation, inefficace et corrompue. Pour compliquer le tout, DEA et CIA étasuniennes viennent mettre leurs grains de sel – et de sable – dans cet imbroglio. Car si le nombre de pages est supérieur à celui des autres livres de la série, les faits et personnages sont eux aussi plus denses. Il faut suivre avec attention et l’enchainement des évènements est parfois trop rapide et pas claire.

Mezquite Road est un cliché social, politique et sociologique de cette partie du monde, lieu de rencontre de tous les prédateurs, nombreux et variés, qui tournent autour des fortunes nées du narcotrafic, et planent tels les zopilotes au dessus de leurs victimes, femmes, pauvres, indiens, enfants, ce qui génèrent souvent des situations sordides.

Mais, Morgado va parvenir, non pas à faire triompher le bien, la tâche est bien trop démesurée, mais à résoudre l’affaire d’Heriberto et redorer un peu son blason. Joueur, peut-être, malhonnête certainement pas. C’était un innocent, au sens propre et figuré, victime collatérale de la violence endémique de ces provinces du nord du Mexique comme l’ont déjà été plusieurs dizaines de milliers de personnes. On notera avec plaisir le rôle important d’Alicia, la femme plantureuse et hardie dont Morgado est amoureux. Son personnage est attachant, mais Morgado doit-il lui faire une confiance aveugle ?

Ph.H.

6 septembre 2012

Mexico, la muerte

Marty (dessin), Philippe Thirault (scénario)
Agence interpol, tome 1
éditions Dupuis - 09 2012

Résumé de l'éditeur :
Des cadavres de femmes décapitées sont retrouvés en plusieurs endroits de Mexico. La police, corrompue jusqu'à l'os, n'enquête pas particulièrement sur ces meurtres. D'une part parce qu'ils ressemblent beaucoup à la manière de faire des narcos, d'autre part parce que tant que personne n'y trouve d'intérêt, personne n'a de raison de bouger. Le seul à s'intéresser à l'affaire est un détective privé ; un solitaire, du nom de Tikal, à qui le mari d'une victime a demandé de retrouver le meurtrier. Il n'attend aucune aide de la police, mais c'est Interpol qui va s'intéresser à lui, en la personne de l'agent Clare Burnell, chargée de l'affaire depuis qu'on a découvert qu'une des victimes était de nationalité américaine.

Démarre alors, pour le duo a priori mal assorti, une enquête violente, remplie de zones d'ombre et de faux-semblants, sur fond de terreur et de massacre orchestrés par les narcos. Sans compter que les motivations de Tikal se révèlent peu à peu bien plus complexes qu'elles n'avaient l'air de l'être... 

Une intrigue de polar très noire de Philippe Thirault, servie par le dessin âpre et incisif de Lionel Marty.

Source : http://www.dupuis.com/catalogue/FR/al/31342/mexico.html


Mexico, La Muerte
Entretien avec les auteurs Philippe Thirault et Lionel Marty

« Une nouvelle série inspirée de faits réels ». Voilà comment les éditions Dupuis présentent Agence Interpol, dont les deux premiers tomes, Stockholm et Mexico, seront disponibles dans les bacs à partir du 7 septembre avec, pour chaque album, un duo d’auteurs différent. L’enquête se à Mexico met aux prises narcotrafiquants, police locale corrompue et chirurgiens véreux. Quant à Pablo Tikal, un privé local, et Clare Burnell, agent d’Interpol, ils essaient de retrouver l’assassin de jeunes filles retrouvées mortes, décapitées. Philippe Thirault et Lionel Marty, aux commandes de ce polar noir et sanglant, répondent à quelques questions. Lire l'entretien complet sur BD Gest'.



Le trait agressif, dur et anguleux rend bien compte de l’atmosphère tendue qui règne dans les villes mexicaines touchées par la violence, des difficultés quotidiennes des habitants et de l’inquiétude omniprésente qui règne mais avec laquelle il faut bien vivre. Par contre, si ce style convient aux dessins d’ensemble, il est mal adapté aux personnages qui deviennent méconnaissables d’une case à l’autre, voire disproportionnés.

Si l’objectif des auteurs était de faire un album sur les conséquences du narcotrafic, on ne comprend pas trop pourquoi ils ne l’ont pas fait directement, sans passer par cette enquête sur un serial-killer ? En effet, tout le déroulement de l’album est construit sur l’énumération des agissements des narcotrafiquants : décapitation, pendaisons, démembrements, attaques des centres de désintoxication … dans un enchainement qui devient vite rébarbatif puisque finalement, ce n’est pas le sujet principal. Il semble que le Mexique devient de plus en plus victime de sa mauvaise réputation et donc un sujet de plus en plus fréquent pour la littérature ou la bd noire. Mais il ne suffit pas de citer les bidonvilles de Nezahualcoyotl, le quartier riche de Las Lomas, ou la Zona rosa pour recréer une ambiance. Les sources doivent être fiables, ce qui ne semblent pas être le cas puisque lorsqu’il est question de l’aéroport international de Benito Juarez de Mexico DF, on peut lire des panneaux en catalan !?

Finalement, cet album laisse une vision morbide et figée de Mexico DF, alors qu’elle n’est pas la ville mexicaine la plus exemplaire en matière de violence. Elle est largement dépassée par Ciudad Juarez ou Monterey, voire Acapulco ou Veracruz. Il est un peu exagéré de dire, comme c'est le cas dans la bd, que l'espérance de vie à Tepito (marché de Mexico DF où se vendent les produits des vols) est de 10 minutes, même si Tepito n'est pas loin s'enfaut, un endroit recommandable. Les auteurs égrainent la liste des ingrédients qui font du Mexique contemporain un pays dangereux, mais cela reste superficiel et fade, ce qui est dommage pour le pays du piment.

Ph.H.


5 septembre 2012

Juarez

Corentin Rouge (dessin), Nathalie Sergeef (scénario)
éditions Glénat - 08 2012

Résumé de l'éditeur :
Bienvenue à « murder land »
Depuis 1993, dans la petite ville frontière de Ciudad Juárez, près de 400 cadavres de femmes ont été retrouvés, et plus de 2000 sont portées disparues. Sûr que ça crée des vocations. Gael Garcia Morales est venu à Juárez pour y retrouver la trace de sa sœur, dont le visage figure parmi ceux des milliers de disparues pour lesquelles les familles désespérées collent des affichettes. Quelques mois plus tôt, elle avait rejoint l’association Esperanza, qui s’oppose aux trafiquants de drogue, aux policiers complaisants et aux avocats véreux pour faire la lumière sur ces assassinats ignobles. Mais Juárez n’aime pas les fouineurs. Certains ont tenté de mener leur propre enquête, on ne les a jamais revus…

Dans le domaine de l’horreur, la réalité dépasse malheureusement souvent la fiction, et les auteurs se sont inspirés de faits réels pour ce one shot racontant l’enquête d’un personnage, menée au cœur des vérités obscures de cette cité mexicaine gouvernée par le crime et l'impunité.

Source : http://www.glenatbd.com/bd/juarez-9782723482134.htm

Le dessin réaliste, aux traits précis est agréable. Les couleurs, brillantes sur papier glacé, donnent un côté excessivement lumineux qui ne colle pas à l’ambiance. L’album est riche de 72 pages, découpées en nombreuses case et phylactères, offrant un bon moment de lecture, ce qui n’est pas toujours le cas avec une bd.

Le scénario est solide et classique. La sœur de Gael a disparu a Ciudad Juarez. Installé aux Usa, il franchi la frontière pour tenter de la retrouver. Les auteurs décrivent le parcours habituel dans ce genre de situation, le héros croise donc des policiers incapables, véreux, corrompus ou compromis, des avocats du même tonneau, des journalistes dépassés dont la vie est menacée, comme celles des femmes qui militent au sein des associations d’aide aux familles de disparues. Si toutes les origines d’assassinats sont évoquées, violence conjugales, détraqués sexuels, snuff-movies … les auteurs ont choisi celle qui est probablement à l’origine du plus grand nombre de victimes, le narcotrafic. Ils évoquent dans leur bd l’étroite connivence entre les narcos et les politiciens, les luttes intestines entre gangs et l’échec total de toutes les tentatives d’éradication du fléau, tant au niveau de l’Etat de Chihuahua qu’au niveau fédéral.

On regrettera (encore !) quelques mauvaises traductions et quelques fautes d’orthographe en espagnol. Cette bd, loin d’être une ouvre militante comme celle de Baudoin & Troubs (Viva la vida – Los sueños de Ciudad Juarez), une des rares a avoir capté la profondeur du désarroi de ces femmes mexicaines, reste néanmoins une œuvre fidèle à la réalité.

Ph.H.